Mes nombreuses années à la tête d’un cabinet de recrutement sous-régional basé au Sénégal, puis comme chasseur de tête basé à Paris et travaillant sur un plus large périmètre africain, m’ont donné une double perspective que nous sommes peu de chasseurs de tête spécialisés sur l’Afrique à avoir.
J’ai pu observer la montée en puissance du phénomène des cadres « Repats » en Afrique de l’Ouest. J’ai vu, sur place, comment s’opérait leur insertion socio-professionnelle de retour au pays. Mais j’ai également été en contact avec ces « Repats » en Europe, en Amérique du Nord et parfois même en Chine, en amont de leurs projets de retour.
On a beaucoup écrit sur les retours réussis. Beaucoup moins sur les retours difficiles ou chaotiques, qui sont plus fréquents qu’on ne pense. Les conseils qui suivent sont basés sur les récits de difficultés et d’échecs de centaines de candidats avec lesquels j’ai parlé depuis que je fais ce métier sur le périmètre Afrique. Ayant moi-même commis certaines de ces erreurs, je peux d’autant mieux en parler.
J’espère que ces conseils serviront, dans la période actuelle de ralentissement de l’activité économique à laquelle l’Afrique n’échappe pas, en donnant l’occasion aux candidats au retour d’ajuster leur stratégie sur un marché de l’emploi qui devient d’autant plus concurrentiel.
« Retournez » pour les bonnes raisons
Si les motifs conduisant de nombreux africains à quitter leur pays d’origine sont assez bien documentés, les raisons de ceux qui empruntent le chemin du retour le sont moins.
Beaucoup ont la vie rêvée d’expats en ligne de mire : salaire local et off-shore, cotisation retraite dans leur ancien pays d’émigration en Europe ou aux Canada, maison, école internationale pour les enfants, voiture avec chauffeur, maison avec commodités prises en charge, billets allers-retours plusieurs fois par an pour la famille en Europe, etc.
L’attrait d’un niveau de vie supérieur à celui qu’ils auraient eu dans leur pays d’émigration est légitime. Mais cette vie rêvée d’expat est un modèle qui a vécu. Au-delà de la question financière, rentrer sans se projeter dans le long terme et dans une perspective d’insertion locale ouvre la porte à beaucoup de désillusions. Il y a pourtant beaucoup d’opportunités à saisir. Par exemple, les CODIR des filiales de multinationales composés de plus 70% d’expatriés il y a encore 20 à 25 ans en Afrique, ont vu ce rapport de 70%-30% pour ainsi dire plus qu’inversé. Et ça se poursuit.
Au nombre des motifs, j’entends aussi souvent la nostalgie et le besoin de renouer avec ses racines, sa famille et sa culture, voire avec un certain environnement spirituel.
Il y aussi le retour « sur-un-coup-de-tête » dû à un ras-le-bol du pays d’accueil, qui n’est jamais un bon mouvement. Plus de la moitié des personnes que j’ai connues, qui avaient atterri sur le continent sur un coup de tête, sortent « rincées » de leur expérience et parfois aigries. Elles finissent par revenir d’où elles étaient parties, après 1 ou 2 ans, et souvent sans avoir tiré les leçons objectives de leur échec.
Si ces différents motifs sont toujours légitimes, d’un point de vue personnel, ce à quoi il faut surtout veiller et travailler, c’est que ce retour s’insère dans un solide projet de vie de long terme sur place, bien construit, et global. C’est-à-dire un projet prenant en compte l’ensemble des dimensions professionnelles, familiales et d’épanouissement personnel. Faute de cette réflexion en amont, on crée le terrain favorable à un retour difficile.
« Retournez » au bon moment
Selon les projets professionnels, le moment idéal d’un départ peut ne pas être le même. Ainsi, retourner dans la perspective d’être un entrepreneur ou dans celle d’être un employé n’est pas équivalent. Si pour l’un et l’autre, il est conseillé de rentrer « à maturité », pour les employés, il est sans doute plus critique de bien définir quand est atteinte cette maturité.
Pour les cadres supérieurs que j’ai rencontrés, l’optimum pour un retour semble être autour de 5 à 8 années d’expérience significatives à l’international avant de rentrer et faire fructifier une première partie de parcours professionnel. Cet intervalle d’années est validé par les employeurs, qui jugent i) qu’il permet de formater/structurer suffisamment les profils dans des environnements corporate internationaux ; ii) qu’il permet d’avoir des personnalités qui ont eu l’occasion de s’affirmer et ont le recul pour relever des challenges locaux, qui sont parfois d’une autre nature.
C’est donc l’expérience qui permet de « valoriser » votre parcours académique et les « parchemins » parfois onéreux dans lesquels vous avez investi. Rentrer sans ou avec peu d’expérience, vous expose à être coincé pour un paquet d’années avec une probable « décote » qui sera longue à corriger.
Il faut alors mitiger les risques en structurant un début de parcours international, de quelques années, dans le pays ou le continent d’émigration. Y multiplier ces expériences autant que faire se peut, et surtout, si votre projet est clair depuis assez longtemps, aller chercher ces expériences dans les secteurs qui emploient en Afrique ou dans le pays que vous visez ! J’ai encore en mémoire cette interview avec ce brillant et très sympathique ingénieur neutronicien, qui avait passé ses 12 premières années professionnelles dans le nucléaire civil en France, et souhaitait que je l’accompagne pour son retour sur le continent. Je ne pouvais hélas plus grand-chose…
Donnez-vous du temps pour votre recherche
J’ai été souvent étonné par le temps au terme duquel les candidats au retour commençaient à montrer des signes d’impatience. « Toujours rien, M. Hazoumè ? J’ai envoyé une multitude de CV et répondu à des dizaines d’annonces depuis 5 mois, mais toujours rien ? C’est normal ? »
La plupart des candidats pensent en effet que 6 à 9 mois suffisent, entre le moment où la décision de retour est actée formellement et le moment où une opportunité est confirmée.
Ils tombent souvent de haut en apprenant que pour des cadres, la durée moyenne est entre 12 et 18 mois !
Ce gap de perception est accentué par le fait que l’information demeure incomplète et confidentielle sur ces sujets et ces marchés. Les candidats sont souvent victimes d’une information un peu tronquée.
Je donne souvent aux candidats que j’accompagne l’image du business plan. Si vous deviez lancer LE projet de votre vie dans une région lointaine que vous connaissez finalement assez peu, où l’information n’est pas si accessible que cela, est-ce que vous vous jetteriez à l’eau au bout de quelques mois ? Non. Vous continueriez de documenter votre idée, rechercheriez et croiseriez des informations issues de toutes les sources possibles, sans fermer les yeux sur celles les moins favorables à votre projet initial, vous évalueriez l’état de la concurrence (en l’occurrence, la disponibilité des talents dans votre domaine), etc.
Ces très longs mois, il faut donc les utiliser à parler/faire parler des recruteurs spécialisés sur cette géographie, à entrer en contact avec le maximum de « Repats » qui ont fait ce chemin depuis assez longtemps, à accumuler les informations sectorielles sur les domaines vous intéressent en Afrique. Ce sont autant de choses qui vous serviront quand viendra l’heure de L’INTERVIEW décisive avec l’employeur de vos rêves.
Soyez adaptables, et considérez ce que le contexte local requiert de différent en termes de soft-skills
La familiarité avec l’inattendu et la préparation à ce que les choses ne tournent pas comme prévu est essentiel pour les marchés africains.
Les patrons pour lesquels je recrute me disent que les candidats africains, managers fonctionnels qualifiés ne manquent pas tant que ça. En tous cas ce n’est pas leur préoccupation principale en talent acquisition, en dehors de certains secteurs spécifiques (assurance/actuariat, génie agronomique/agribusiness, pharmacologie, etc.)
Ce qu’ils peinent à trouver, en revanche, ce sont ces personnes capables d’épouser rapidement les réalités mouvantes de leurs environnements et de leurs marchés et d’imaginer des solutions novatrices et adaptées au contexte, pour contourner les obstacles et avancer. Créativité et ténacité mises en contexte. Autant d’aspects du leadership qu’aucun MBA international n’enseigne…
Les employeurs recherchent aussi, notamment pour les structures régionales, des personnes aux habiletés sociales élevées et capables de s’adapter aux codes sociaux qui sont plus complexes et différents qu’il n’y parait, d’un pays à un autre d’une sous-région ; voire à l’intérieur d’un même pays.
Il faut donc bien se connaitre ; se demander en toute honnêteté (et ne pas hésiter à demander à des gens qui nous connaissent et connaissent les environnements dont on parle) si et comment ils pensent que nous ferions face à des contextes changeants et parfois déstabilisants ; se préparer aux interviews dans cette perspective en montrant la claire conscience que l’on a de la dose de résilience nécessaire pour réussir.
Tissez vos réseaux locaux
Le continent Africain ne fait pas exception : les réseaux sont essentiels pour la réussite d’un projet professionnel. Ils le sont même plus qu’ailleurs, je pense.
Vous aurez sans doute déjà entendu cette phrase qui revient rapidement quel que soit le cercle dans lequel vous parlez d’emploi et de carrière en Afrique : « En Europe on vous demandera votre CV ; aux États-Unis on ne regardera que vos compétences. En Afrique, on vous demandera qui vous envoie ! ».
Il faut bien entendu pondérer cette affirmation pour ne pas verser dans le cliché. Et elle est plus ou moins pertinente selon le pays dont on parle, et selon qu’on parle secteur public, parapublic ou secteur privé.
Mais quand même !
Ce que mon expérience m’a montré c’est que malgré les avancées technologiques, le recrutement digital, etc…, les méthodes de recrutement à l’ancienne sont toujours vivantes, et bien vivantes même! Réseaux, recommandations et cooptations ont encore de biens beaux jours devant eux en Afrique ; et les opportunités d’emploi de cadres en Afrique demeurent encore très confidentielles. Les candidats au retour qui n’ouvrent leurs radars que sur internet n’ont accès qu’à une petite partie des postes à pourvoir, comme je le répète souvent aux candidats que j’accompagne dans leur démarche.
Ce que je veux dire, c’est qu’il ne sert à rien de maudire cet état de fait. Il faut plutôt chercher en amont et élargir votre champ de recherche aux réseaux professionnels et personnels sur place.
Pour les cadres africains envisageant un retour, cela veut simplement dire qu’il est insuffisant de piloter sa recherche d’emploi sur le continent africain depuis Paris, Montréal ou Washington, sans se déplacer sur place. Il faut donc se rendre sur place, y forcer des rencontres, essayer de s’imposer dans le souvenir de décideurs à l’occasion de ces voyages et rencontres. Une stratégie de retour bien pensée a donc une composante temps, mais aussi une composante budgétaire (voyages) non négligeable. Il faut l’intégrer.
Un ancien manager en cabinet de conseil que j’ai approché il y a quelques temps, m’a expliqué comment il avait trouvé son « dream-job » en Côte d’Ivoire. Souhaitant passer en entreprise, il a identifié les 4 grosses structures qui lui plaisaient, et sur la base des informations disponibles, il a monté un business case sur une problématique spécifique pour chacune. Il leur a ensuite proposé présenter son analyse. L’une des entreprises, séduite, lui a créé un poste sur mesure de regional business analyst pour travailler sur un projet de maîtrise de coûts.
Méfiez-vous du « complexe du sauveur »
J’ai vu des personnes se « crasher » littéralement parce qu’ils étaient retournés en prophètes dogmatiques, pleins de stéréotypes « fatigués » ; persuadées d’être les porteurs de la bonne nouvelle et capables de changer fondamentalement, de par leur simple présence, la façon de travailler.
Leurs crash résulte d’une double erreur d’appréciation : i) pour n’avoir pas intégré de voyages exploratoires au pays avant leur retour, ils évaluaient mal les forces en présence et la situation ; ii) en 10, 15 ou 20 ans, énormément de choses avaient changé, notamment le niveau d’éducation et la qualité des formations supérieures sur place. Combinées avec des parcours riches que structurent désormais les groupes africains et les multinationales au niveau régional, elle produisent de solides cadres locaux connaissant parfaitement le terrain, et n’entendant pas se laisser raconter un évangile du management décontextualisé.
Il y a bien sur une question d’égo sous-jacente. Et cette question n’est pas simple.
Les patrons et employeurs avec lesquels je parle de cette question concernant les « Repats » ont des avis partagés. Pour certains, il faut simplement accepter que l’égo vient avec le leadership qu’ils demandent à ces cadres d’avoir, particulièrement dans un contexte africain encore très marqué par la hiérarchie. Mais cet égo, nécessaire pour accéder aux fonctions décisionnelles, est paradoxalement un lourd handicap lorsqu’il faut mener des vrais projets de transformation.
Sans doute faut-il distinguer, en réalité, égo et arrogance. L’arrogance, elle, est clairement un facteur d’échec !
Soyez stratégique sur le sujet de la rémunération
On connait les avantages des profils locaux ou des « Repats » : ils désirent s’installer sur le long terme en Afrique, souvent portés par un idéal de contribution au développement du continent. Ils peuvent parfois parler plusieurs langues locales, maîtrisent certains codes sociaux spécifiques qui déterminent l’échec ou la réussite d’une négociation commerciale clé, ou d’une relation avec un institutionnel.
C’est parfois, paradoxalement, la claire compréhension de cet « avantage compétitif » et de leur valeur qui peut conduire les « Repats » à faire des erreurs de jugements et des choix ne leur permettant pas de fructifier au mieux leur potentiel, une fois de retour au pays.
Plus d’une fois, j’ai donc fortement suggéré à mes candidats, qui hésitaient devant plusieurs opportunités, de considérer d’autres critères que la rémunération immédiate de court terme proposée, pour leur décision. Il s’est souvent avéré plus judicieux comme j’en parlais dans un précédent papier dédié aux stratégies de talent acquisition de groupes que j’accompagne en Afrique, de considérer, au détriment du niveau de salaire, l’employeur qui proposait de véritables « ponts de carrière », avec des opportunités d’évolution. En plus de l’implication sur des projets passionnants et de belles mobilités sur tout le continent qu’ils gagnaient, leur rattrapage de rémunération pouvait se faire assez rapidement en 2, 3 ou 4 ans.
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S’il est vrai qu’une très grande proportion des étudiants africains en MBA veulent effectivement se relocaliser en Afrique (près de 70 % selon certaines études), il était intéressant de partager ces quelques conseils pour réussir ce retour.
J’espère que vous aurez apprécié cet article.
Ce papier a été également nourri des aspirations de centaines de cadres africains, candidats au retour, qui m’avaient inspiré, à l’époque, l’initiative digitale du Forum Convergence (1).
Vous êtes un cadre projetant votre prochain horizon de carrière en Afrique ; vous êtes une société recrutant des cadres ou dirigeants pour vos opérations sur le périmètre Afrique ; vous souhaitez poursuivre la réflexion au terme de cet article ou avez des questions spécifiques à me poser ?
Contactez-moi, je serai ravi d’échanger avec vous.
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(1) Forum Convergence, 1er forum ouest africain de recrutement 100% en ligne, conçu et organisé par le cabinet People Development en collaboration avec Ubivent.