Je décrivais, dans mon précédent post (à retrouver ici), 7 innovations digitales dans le domaine de l’agriculture qui pourraient transformer considérablement ce secteur en Afrique, qu’on peut appeller africa agro-digital.
Et partant toute l’économie du continent toute entière, puisque l’agriculture emploie plus de 60% de la population du continent.
Bon, alors quoi, me direz-vous : le digital se développe en Afrique comme ailleurs, non ? La belle affaire !
Sauf-que-non, justement. Pas COMME ailleurs…
Il est aussi intéressant de challenger cette vision Africa agro-digital et de modérer un optimisme aveuglant par quelques éléments factuels, afin de comprendre comment ce fameux « avantage de l’arriération » est susceptible de POUVOIR opérer.
Le redire n’est pas inutile
Il faut rappeler quelques éléments de contexte, lus et entendus 1000 fois. Il reste qu’ils demeurent indispensables pour comprendre l’ampleur de cet Africa agro-digital qui est en jeu.
60 à 65 % des terres arables non exploitées dans le monde se trouveraient en Afrique (j’utilise ici le conditionnel à dessein. On verra plus tard pourquoi); 60% des emplois en Afrique subsaharienne sont agricoles.
Mais c’est cette même Afrique qui devrait augmenter de près de 60% sa production agricole pour faire face à son augmentation démographique et à son urbanisation.
En 2040, la moitié des 2 milliards d’habitants de l’Afrique vivra dans les villes, et en 2050, le continent concentrera 50% de la croissance urbaine mondiale. Sachant qu’on y dispose en moyenne de 13 tracteurs…pour 100.000 km carrés !
Comment opère cet « avantage de l’arriération » et la possibilité du saut de grenouille économique ?
Ce qui se passe avec la transversalité des changements que le digital apporte en Afrique et les niveaux où on projette qu’il conduise le continent, est une illustration de ce fameux « avantage de l’arriération »pou un Africa agro-digital.
Pour faire simple, il permet des rattrapages de développement économique spectaculaires par des « sauts de grenouille »…
On doit cette théorie à Alexander Gerschenkron, historien de l’économie du début du siècle précédent, américain d’origine russe.
Elle s’oppose à la vision linéaire du développement économique des sociétés industrielles en 5 grandes étapes très figées se déroulant dans un ordre relativement déterminé.
Il montre que les pays connaissant un développement plus tardif, profitant de l’histoire et de l’évolution des nations les ayant précédés, peuvent connaitre un rattrapage accéléré et sautent même certaines étapes en adoptant leurs avancées technologiques comme sur la base de Africa agro-digital
La façon dont s’est industrialisée le Japon de l’ère Meiji, voire l’Union soviétique, relèverait ainsi de cette théorie.
Et l’Afrique serait en train de vivre des bouleversements similaires, en contribuant à accélérer l’effacement de plusieurs dizaines d’années de technologie de télécommunication, à base de câbles et fils de fer, auxquelles elle n’a que faiblement contribué.
Le modèle tiendrait à l’agilité du continent dans l’intégration des infrastructures de demain qui seront directement digitales (exit le physique), Africa agro-digital, épargnant donc les difficultés de mutation et d’évolutions qu’on connait actuellement ailleurs dans les économies du nord.
Ces changements seraient à l’œuvre, irrésistibles, dans tous les secteurs.
Il seraient plus fort encore dans l’agriculture, avec une Africa agro-digital en raison de 3 lames de fonds qui semblent déferler de façon coordonnée sur le continent :
- L’arrivée massive de jeunes Africains sur le marché du travail à l’heure du mobile, sur un continent comprenant une part de génération X,Y,Z qui est presque le double de toute les autres régions de la planète,
- Une capacité phénoménale d’adoption du mode digital par l’Afrique se distinguant par une courbe d’apprentissage réputée inégalée dans le monde;
- Un accroissement du nombre d’entrepreneurs en Afrique, représentant déjà la plus grande proportion d’entrepreneurs au monde (rapport 2015/2016 du Global Entrepreneurship Monitor)…
Les plus exaltés parlent de révolution innovatrice comme l’on n’en aurait jamais encore rencontré ailleurs.
Amin !
Les enjeux sont colossaux, car nous ne serions pas dans un modèle où le digital mènerait à une ubérisation qui apporte des bénéfices finalement assez limités et à travers des stratégies financières profitant à un nombre très réduit de personnes.
Plus de 229 millions d’agriculteurs Africains possèdent un téléphone portable ce qui représente une opportunité de Africa agro-digital
L’intérêt de considérer les effets du digital dans un secteur comme l’agriculture qui représente 60% des emplois en Afrique, est qu’on touche du doigt à quel point on peut se trouver dans une croissance inclusive concernant et résolvant des problèmes ESSENTIELS du très grand nombre en Africa agro-digital.
La richesse créée pour le secteur agricole grâce au digital pourrait, dans les anticipations des tenants de cet optimisme, ralentir considérablement l’exode rurale voire initier un mouvement retour vers les campagnes.
On pense bien sûr aux jeunes, plus particulièrement, que l’introduction du digital et des nouvelles technologies dans les métiers de l’agriculture, contribuerait à ramener massivement à ces métiers.
Bruno Metling, dans son ouvrage Booming Africa, enfonce le clou : « le développement de filières agroalimentaires aidant, les transformations accrues en Afrique des productions agricoles agira à la hausse sur l’emploi et l’accroissement de la valeur ajoutée dans le secteur et sur la balance commerciale. »
Tout va bien donc ? Circulez, rien à voir ?
Pas si sur.
Grains de sable dans la farine de manioc dans la 3è et dernière partie de cet article, le jeudi 4 avril 2019…
