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En fin la 1ère partie de cet article, je me questionnais sur l’intérêt qu’avaient les recruteurs et les organisations, dans cette période, à considérer d’un œil plus attentif les profils atypiques.
Le recruteur et l’interviewer d’abord : que peut-il faire pour que ses outils appréhendent au mieux l’entièreté du potentiel du candidat aux profils atypiques ?
L’employeur ensuite : à quoi et comment l’employer au mieux, une fois intégré, pour en tirer le meilleur ?
Attention, à nouveau : je ne m’avance pas sur le fait que les personnalités aux profils atypiques ou les parcours décalés soient le Graal. Je dis, pragmatiquement, que si on dispose d’un Mustang et qu’on ne lui fait faire que des tours de piste au trot, et nous et le Mustang avons toutes les chances d’être rapidement frustrés.
Et, promis, j’arrête immédiatement l’usage facile de ce registre équin, qui vaut ce qu’il vaut…
Calibrer les annonces pour encourager la candidature de profils atypiques
Le 1er contact avec le talent aux profils atypique sera probablement l‘annonce de recrutement. Il faut y envoyer les signaux forts permettant de faire comprendre à ces talents qu’ils peuvent nous intéresser ; même, voire surtout, s’ils ont un parcours ou des personnalités atypiques
Les profils atypiques sont intéressés par les employeurs qui explicitement leur intérêt pour les différences, et qui admettent la possibilité de travailler autrement. Outre les éléments classiques qu’on lui connait, une annonce, si elle veut aussi toucher ces profils, gagne à mettre en exergue des éléments de personnalisation et de modernité de l’entreprise.
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai depuis un moment opté, quand mes clients le valident, pour des annonces vidéo. J’y décris, moi-même, les rôles et essaye d’aider TOUS les candidats à mieux se projeter dans le poste et l’environnement de la société. J’y spécifie les composantes de créativité, les marges de manœuvre et les challenges du poste.
Mais ça n’est qu’une partie de ce qu’il conviendrait de faire !
En effet, quand les clients et employeurs l’admettent (et là c’est beaucoup moins évident, je l’avoue), il faudrait même éviter de faire mention de prérequis comme le nombre figé d’années d’expérience et/ou la connaissance pointue d’une industrie.
C’est souvent un repoussoir pour des personnes qui, si elles ont une très claire conscience d’eux-mêmes, ne sont pas toujours sures d’elles, et surtout n’ont justement pas ces parcours standards.
Ne pas rester plus de 2 ans dans chaque poste n’est pas (nécessairement) un signe d’ instabilité. Certaines personnes comme celles aux profils atypiques peuvent faire objectivement le tour d’un poste en 2 ans quand d’autre auront besoin de 4 ou 5 années. Lié à cela, le besoin de développer des compétences à un rythme plus élevé.
A l’inverse, sur la même question de la « séniorité », les candidats atypiques semblent souvent plus sincèrement enclins à descendre en séniorité, responsabilité, voire en rémunération, quand ils trouvent dans un emploi la passion et le sens qu’ils recherchent.
Or, nous peinons à recruter des individus moins mus par des éléments de motivation extrinsèques (statut, rémunération, prestige, marque…) que par leur motivation intrinsèque et leurs propres objectifs.
Peut-être l’entreprise a-t’-elle encore trop souvent besoin de contrôler les individus ? Le problème est que, souhaitant ardemment la libération d’énergie et la créativité, elle oublie plus volontiers que la liberté est constitutive de la créativité…
Recruter un atypique oblige à faire face aux contradictions et insuffisances des processus de sélection et de recrutement classiques
Le CV d’abord : les études montrent depuis des années que le peu de corrélation entre le succès dans les parcours académique et la réussite en entreprise. Si vous y ajoutez que ce CV est parcouru en moyenne en moins d’une minute en 1ere lecture par un employeur ou un recruteur, vous comprenez aisément le peu de cas qui peut être fait i) du caractère particulier d’un parcours, et ii) de la nécessité de recherche de compétences sous-jacentes.
Oui, vous avez bien lu : le CV en général à une validité (*) extrêmement faible (comparé par exemple à l’évaluation de la personnalité ou à la mesure des aptitudes intellectuelles).
L’entretien ensuite : outil de sélection le plus utilisé, cette technique empirique, longtemps mal définie sur le plan formel, est jugée également d’une validité très faible.
Cette réalité est notoirement connue dans le métier depuis plus d’une quarantaine d’année grâce à de nombreuses études. Les entretiens classiques sont propices, en effet, à la formation de croyances et stéréotypes et donc de biais (inconscients) des interviewers et recruteurs (**)
Ce sont-là pourtant, et de loin, les 2 outils de recrutement les plus largement utilisés, en complément l’un de l’autre. Même si la structuration/standardisation des questionnaires et la formulation de questions comportementales et situationnelles permettent d’en améliorer l’efficacité et la validité.
Autre problème de ces méthodes : elles apprécient/jugent les chances de réussite dans un poste, essentiellement sur la base d’expériences et de circonstances passées, ainsi que de compétences techniques connues et normées.
Or on sait que plus la complexité et les facteurs d’incertitude du poste s’accroissent, moins ces éléments sont pertinents. Le potentiel (***) et les soft-skills (****) ont alors un impact bien plus déterminant sur la réussite dans le poste.
Or dans quelle situation nous trouvons-nous actuellement avec l’accélération rapide des transformations et la complexification du monde ? Dans une situation, justement, où les soft-skills et le potentiel, sont les plus susceptibles de prédire la réussite en entreprise !
Ne pas en tenir compte pour faire évoluer nos façons de recruter et intégrer plus massivement des profils atypiques, c’est appréhender demain avec les certitudes d’hier.
La difficulté à passer massivement le cap de l’usage massif et systématique de nouveaux outils de sélection plus orientés soft-skills – assessment (*****), jeux de rôles et leurs diverses déclinaisons tels les serious games ou les escape games – est malheureusement souvent liée à des questions de budget.
Un profil atypique pour quoi faire dans l’entreprise ?
Avant de se demander ce à quoi on peut utiliser au mieux une personnes aux profils atypiques, il faut connaitre quelques leviers permettant de mieux les manager et de les retenir : quête de sens, engagement, besoin de challenger et d’être challengé, besoin de reconnaissance, besoin d’autonomie et de confiance.
Ce préalable assuré, ils seront meilleurs dans quelques circonstances particulières.
Pour « benchmarker » et challenger : l’atypique dont on parle, passé par différentes industries, dans différents environnements culturels, ou ayant fait plusieurs métiers, parfois très différents les uns des autres, est un adaptable par définition.
Son parcours aura donc souvent éprouvé et développé sa capacité à apprendre rapidement ainsi qu’une polyvalence qu’il apprécie et cultive naturellement. Il sera un œil acéré pour identifier/comparer les meilleures pratiques à l’extérieur pour challenger les usages internes et façons de travailler.
Pour anticiper et chercher de nouveaux sens/directions : il semble que leur façon de penser, leurs intérêt et curiosité permanents pour un grand nombre de choses dans des domaines non nécessairement connexes les rendent plus sensibles aux micros évolutions annonciatrices de changements de paradigmes ou de retournements de marché. Quand on les a repérés, pourquoi se priver de tels « indicateurs » ?
Pour mener des changements et innover : pour une entreprise qui est contrainte à mener un changement important ou donner une plus grande place à l’innovation dans son activité, il est une évidence qu’on n’a pourtant pas fini de répéter : on tire beaucoup plus de choses à intégrer des employés qui ont su/dû se réinventer à plusieurs reprises, ailleurs. Particulièrement dans des sociétés où les employés ont des moyennes de 10 ou 15 ans de maison, et dans un marché qui n’a pas connu beaucoup de remous.
Pour communiquer et comprendre autrui : lié au potentiel plus marqué en management changement, le profil atypique est souvent sensible, empathique, doté d’une solide conscience de soi et de motivations intrinsèques fortes.
Pourquoi ? Parce que se sachant différent, il aura longtemps et plus que les autres interrogé cette différence. Il en sera arrivé, avec le temps, à développer, à défaut d’habiletés interpersonnelles, une vraie intelligence émotionnelle qui lui permet de mieux accepter les autres, et mieux communiquer avec eux.
Dans les projets transverses, il n’aura pas son pareil pour abattre les cloisons internes et stimuler les autres. Les profils atypiques seront meilleurs dans le partage de leurs expériences et l’aide aux autres à sauter un pas qu’ils auront déjà eux-mêmes sauté, afin de trouver des nouvelles solutions ensemble.
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Souvent haut potentiels, intéressés par beaucoup de choses et ayant des capacités inexploitées les profils atypiques dérangent dans une société où on apprécie encore beaucoup les clones.
Des entreprises à l’avant-gardes sur ces sujets, conscientes de tout ce qu’elle perdraient à laisser partir ou à ne pas recruter ces talents, proposent à ces profils qui le souhaitent, en interne, de dédier 20 à 25 % de leur temps sur des sujets novateurs, de leur choix, et leur donnent les moyen de le faire. Façon intelligente à la fois de conserver la motivation des profils atypiques à des niveaux élevés, et de développer un intrapreneuriat qui leur évite de voir des talents partir et les concurrencer directement.
Ce n’est donc pas une surprise si on retrouve les meilleurs pratiques en la matière dans des start-up de l’informatique et du digital, des technologies, ou encore dans les activités de création ou artistiques.
Les profils atypiques sont également mieux représentés dans des TPE/PME où leur adaptabilité et leur polyvalence sont particulièrement appréciées et mieux exploitées, au sein de petites structures souples.Si certaines entreprises ou secteurs donnent le La en matière de recrutement de profils atypiques, on est encore loin du compte.
Il est peut-être aussi temps de nous questionner sur une forme de schizophrénie des organisations : pourquoi certaines grandes entreprises qui communiquent abondamment sur leurs politiques formelles de mobilité interne, au pas de course, y compris sur des métiers très différents, freinent-elles des 4 fers quand il faut intégrer des profils extérieurs atypiques avec des expériences très intéressantes MAIS très variées ?
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(*) Validité : pouvoir prédictif d’un outil pour le succès dans le poste
(**) Quelques-uns des plus fréquents biais d’interviewer :
- Biais de confirmation ou effet de halo : considérer uniquement certaines informations comme justifiant/validant une perception globale (cachant les autres)
- Effet d’ancrage mental : trouver toutes les raisons de maintenir/valider coute que coute une 1ère impression pour prendre une décision
- Effet de contraste : comparer les candidats entre eux pour retenir le meilleur de tous ; mais pas nécessairement le meilleur pour le poste
(***) Potentiel : mix de traits de personnalité particuliers requis au poste occupé, de capacités intellectuelles supérieures à la moyenne, et de motivations élevées poussant hors des zones de confort. Définition empruntée à David Bernard, CEO AssessFirst, dans 1 article dans Forbes France sur le sujet.
(****) Soft-skills : Contrairement aux compétences techniques (« Hard Skills ») qui décrivent l’ensemble des connaissances spécialisées d’une personne et son aptitude à réaliser des tâches, les Soft Skills ou « compétences humaines », représentent les savoirs comportementaux, le savoir-être, la personnalité d’un individu. Toutes ces aptitudes personnelles dont la possession est le signe d’un haut degré d’intelligence émotionnelle
Exemple de soft-skills parmi les plus recherchés en entreprise : motivation, adaptation au changement, créativité, persuasion…
(*****) Assessement : procédés utilisés pour mesurer les capacités d’individus dans l’objectif d’évaluer leurs possibilités de réussir une mission ou d’atteindre des objectifs. Cette méthode se caractérise par l’utilisation d’une multitude de techniques et d’outils complémentaires, et souvent de plusieurs assesseurs évaluant le candidat sur des dimensions multiples (techniques, psychométriques, comportementales, cognitives…).