J’ai donc supervisé, il y a quelques temps, une étude comparative de rémunération en Afrique de l’Ouest, dont j’ai énormément appris d’un secteur où j’avais pourtant exercé plusieurs années en tout début de carrière …
Mon client, une ONG internationale, n’avait plus interrogé ni revu ses pratiques de rémunération depuis une dizaine d’année et disposait d’une grille de rémunération qui n’était plus guère respectée par ailleurs. Malheureusement, très peu de documentation et d’études salariales étaient disponibles dans ce secteur.
Vous connaissez la chanson dans de telles circonstances :
En matière d’équité externe d’abord, la multiplication des employeurs dans le secteur des ONG internationales dans la région, créait une pression « concurrentielle » sur le marché des talents rendant rapidement obsolètes les informations du secteur dont disposait mon client. Chaque employé ou catégorie d’employés y allant de son exemple de telle institution qui rémunérait mieux.
Ensuite en matière d’équité interne, les distorsions successives dans l’application de la grille de rémunération existante avaient fini par décrédibiliser toute position que pouvait prendre le management sur ces sujets.
Il y avait urgence à corriger ces distorsions sur une base objective et rapidement, avant que la démobilisation ne finisse son oeuvre.
1 pour tous, et (presque) tous pour 1
J’avais utilisé la méthode dite des « emplois repères » qui se base sur le degré de similitude entre le contenu d’emplois repères retenus et celui des emplois équivalents au sein les organisations participant à l’enquête.
Pour la crédibilité du projet, la méthodologie et le panel élargi des organisations à comparer ont été présentés à tous les employés qui ont pu poser leurs questions avant que ne démarre de l’étude.
Ensuite, le challenge le plus sérieux aura été de convaincre au moins 15 des 25 organisations comparables de jouer le jeu. Pour ce faire, nous garantissions i) la mise à disposition de toutes les organisations participantes, d’un sommaire exécutif de l’étude salariale commandée par une des leurs ; ii) la plus grande confidentialité sur les données qui nous seraient transmises, notamment par la désignation anonyme de toutes les organisations participantes, mon client y compris.
De fait seulement 13 des 25 organisations ciblées ont accepté de participer à l’étude, voyant immédiatement l’avantage qu’elles pouvaient tirer pour elles-mêmes de ce « 1 pour tous, tous pour un ».
Les « usuals suspects » n’étaient pas là où on les attendait
1ère surprise : constater à quel point ces organisations étaient réfractaires à l’idée de communiquer ces données salariales. Il faut dire que j’étais parti d’un présupposé, un peu naïf : ONG = TRANSPARENCE = PAS DE PROBLEME A COMMUNIQUER SUR LES SALAIRES.
2ème surprise : alors que mon client et ses employés s’attendaient à ce que l’étude conclue à une nécessité de revalorisation de ses catégories de postes de responsables de projets et de programme, cœur de métiers de l’organisation, l’étude révéla, au contraire que non seulement ces emplois étaient dans la moyenne supérieure de rémunération du marché, mais que toutes les catégories d’emploi supports et administratifs, elles, étaient systématiquement rémunérées en dessous du marché !
3ème surprise, enfin : j’ai pu noter la quasi-inexistence de composantes variables de rémunération liées à la performance dans ce secteur. Pour tout dire, j’avais même eu l’impression de proférer d’énormes grossièretés quand je questionnai, en entretien individuel, les dirigeants sur cette question.
Et c’est reparti comme en 14 !
Les résultats de l’étude, dont j’ai présenté les conclusions aux employés et à la direction, a eu un effet d’apaisement immédiat : d’une part, parce que faits objectifs et données remplaçaient enfin rumeurs et on-dits ; d’autre part, parce qu’un réajustement salarial immédiat avait été engagé par la direction pour les catégories se trouvant en dessous du marché.
Mais pour moi, le plus étonnant aura été que la catégorie des cadres et managers de projets, le cœur de métier de mon client (qui s’attendait sans doute le plus à une réévaluation), ne conteste pas les résultats de l’étude.
Equité, je vous dis ! Regain immédiat d’engagement du personnel et crédit de la parole managériale retrouvé grâce à un minimum de transparence et une démonstration de bonne foi dans les actions correctives menées.
Bon, j’ai bien tenté, sur cette belle lancée, de proposer au dirigeant de cette ONG internationale de profiter de l’effet positif inattendu pour mettre en place une rémunération intégrant une part de variable indexée à des indicateurs de performance individuels et collectifs.
Regard torve et demi sourire crispé : « en fait vous êtes une espèce d’incendiaire qui s’ignore, vous ! ».Je n’ai pas insisté. Mais j’ai énormément aimé cet exercice.