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Interview avec Ameyah KOFFI, consultant expert en service financiers, finance digitale, et professionnel du développement commercial et stratégique et de la gestion de centres de profit

J’ai eu le plaisir de rencontrer récemment Ameyah KOFFI, consultant expert en service financiers, finance digitale, et professionnel du développement commercial et stratégique, ainsi que de la gestion de centres de profit. Son regard sur le secteur m’a semblé intéressant à partager.

Après un début de ma carrière en finance de marché, il a évolué dans l’industrie du transfert d’argent pendant une dizaine d’années en Afrique subsaharienne. Pendant ces années il a géré des problématiques d’inclusion financière, de qualité de service et d’expérience client, de construction de réseaux de distribution, et surtout de digitalisation des services financiers.

Il met aujourd’hui son expertise et ses 17 années d’expérience au service de ses clients, corporates et start-ups, du secteur de fintechs.

Quelle est ta perception de la situation générale de la finance digitale en Afrique Subsaharienne ?

Le foisonnement de la technologie financière la disponibilité des talents accélèrent la multiplication des offres en finance digitale ; aussi bien pour les services dit de 1ère génération (paiement, transfert d’argent), que pour les services de 2ème génération (épargne, crédit, assurance). Et, en face, les consommateurs, urbains comme ruraux, sont de plus en plus exigeants pour la finance digitale: ils requièrent la conception d’offres complexes, plus  de qualité du service, et sont de plus en plus regardant sur la protection de leurs droits.

La relative faible pénétration du « téléphone intelligent » (à peine 30%, à la différence de téléphone portable « ordinaire » 70 à 90%) avec une prépondérance dans les populations urbaines, du fait de son coût d’une part, et d’autre part, du fait du faible taux d’alphabétisation des populations rurales, pourrait être, à court terme, un frein objectif à la capacité de satisfaction de ces exigences croissantes du consommateur.

Cette problématique du support sur lesquels les fintechs font leur offre a été réglée dans le secteur des « telcos »pour la finance digitale. Ce secteur a investi des milliards afin que les populations urbaines et rurales maitrisent la technologie USSD qui marche sur tout type de support mobile. Les fintechs se retrouvent donc à devoir adapter leur offre sur ce genre de support avec un  accès limité à cette technologie.

Les acteurs du secteur bancaire, des télécoms et de la microfinance ne sont pas en reste dans la structuration de ce marché de la finance digitale: ils sont souvent promoteurs de centres d’incubation et de solutions techniques nouvelles afin de mieux servir leurs clients.

Mais les chaines de valeur dans la gestion des services financiers digitaux pour la finance digitale au service du consommateur sont encore trop faibles. Il n’est pas rare qu’on demande à un client de se rendre en agence pour déboucler une transaction ou régler un problème de connexion !

Quant aux régulateurs, ils font évoluer les règlementations afin de créer plus d’émulation. Mais certaines mesures sont perçues comme des barrières à l’entrée par les acteurs, comme c’est le cas au sein de l’UEMOA.

où certains acteurs plaident pour que les règlementations soient plus directives, calquées sur le modèle nigérian,  avec l’obligation pour chaque acteur de rester dans son cœur de métier, ce qui permet aux fintechs d’être le liant entre le digital et les services financiers classiques.

D’autres souhaitent simplement pouvoir être associés à la rédaction de ces réglementations.

Au sein de l’UEMOA, les conditions pour être émetteur de monnaie électronique pour la finance digitale telles que fixées par l’instruction 2015 de la BCEAO exigent 300 millions de Fcfa (plus de 457.000 Euros) de capital social, ce qui est colossal pour les fintechs.

Es-tu de ceux qui alimentent le feu du « West Africa bashing », en rapport avec l’évolution du secteur chez les voisins anglophones ?

Non. Mais il est quand même pédagogique de souligner une différence clé entre les pays anglophones dit « early adopters » et les pays francophones. 

A côté de l’agressivité du marketing et de la promotion des produits financiers dans ces régions, il nous faut aussi vraiment nous inspirer de la part active prise par les régulateurs de ces pays dans certaines thématiques, permettant d’amplifier l’émulation autour de ses services :

  • Réglementation donnant plus de flexibilité aux acteurs, comme celles permettant aux fintechs de devenir incontournables en tant qu’agrégateurs de systèmes et facilitant l’interopérabilité ;
  • Accès au financement et autres incitations financières et fiscales ;
  • Digitalisation et décentralisation administrative de fait ;
  • Éducation financière des masses.

Ces pays anglophones sont réellement en marche rapide vers une réelle inclusion financière, avec des produits d’épargne, de crédit et d’assurance…

Cela ne revient-il pas à dire que l’Afrique francophone est en marge ou en retard ?

(Sourire…) Non, pas vraiment, si on se fie au taux de pénétration quasi exponentiel des services financiers digitaux et de l’usage du mobile. 

Cependant, en dehors de certaines initiatives comme Orange Bank Africa et Momo de MTN, nous demeurons à plus de 70% dans une finance digitale de type transfert d’argent. 

Certaines initiatives du fait de collaboration de fintech comme eMoney, Solution et Green Pay en Côte d’Ivoire, In Touch au Sénégal, pour ne citer que ceux-là, permettent l’agrégation des moyens de paiements et pour les paiements. Mais l’écosystème digital tarde à émerger. 

Au nombre des raisons pour finance digitale : la difficulté d’accès au financement, le manque de cadre de concertation entre régulateur et acteurs, l’absence d’interopérabilité financière, le non-respect de la notion de « neutralité technologique » de la part des acteurs télécom, notamment l’accès à la technologie USSD.

En effet, selon ce principe et dans un soucis de convergence des offres et d’évolution d’un marché donné, la réglementation permet le libre accès à toute technologie qui n’est plus considérée comme un avantage concurrentiel entre acteurs.

Autre problématique qui influe sur la situation du sous-ensemble francophone : la mise en place de centres d’incubation (hub régionaux et nationaux), qui reste à l’initiative quasi exclusive de grands groupes privés.

Cela crée un engouement, certes, mais qui demeure limité dans la mesure ou les axes développement suivent les seuls intérêts économiques de ces groupes, qui ont aussi une forme d’aversion au risque.

Sans compter que nos écosystèmes comportent d’autres écueils : non-adressage des rues, faiblesse des procédures de KYC, prépondérance du secteur informel, faiblesse du taux d’alphabétisation…

Quels seraient les axes de développement et/ou d’amélioration ?

Pour la finance digitale, sans hésitation, je dirai l’amplification du rôle de prescription de nos Etats, qui, dans leur relation avec les citoyens, devraient avoir un recours massif au digital. A la clé les promesses sont attrayantes : accroissement de l’éducation des masses, baisse de la corruption, des économies plus inclusives. 

Je citerai comme exemple les pays d’Afrique de l’est avec le Kenya et la Tanzanie (Mpesa de Safaricom) et le Rwanda (initiative SMART Africa) dont les applications de finance digitale sont légions et fonctionnent parfaitement : paiement de salaires, modernisation de l’administration, usage de la signature électronique, etc. 

Ensuite, la mise en place de programmes d’éducation financière pour la finance digitale pilotés par des initiatives privées et les régulateurs. Des initiatives se mettent en place, mais la question du financement demeure non résolue.

Des multinationales telles que VISA et MasterCard l’ont compris et multiplient les contacts avec les Etats et les consommateurs afin de mieux promouvoir leurs services, et surtout faire baisser l’attrait encore très fort du « cash » chez le consommateur. 

L’arrêt du billetage pour le paiement des salaires, la réduction des frais de banque et autres agios au niveau de l’UEMOA, l’existence de plateforme interconnexion tel que le GIM-UEMOA et le GIMAC, la mise en place de guichet unique pour le commerce extérieur et intra régional font partie des initiatives prises par les Etats. Mais cela ne suffit pas. 

Je citerai comme complément à ces mesures : l’usage de la monnaie électronique pour les frais de missions des personnels de l’Etat, la digitalisation des interactions entre l’Etat et le citoyen pour le paiement des amendes, des impôts, etc. Bref, les mesures pouvant être prises rapidement pour renforcer nos écosystèmes sont nombreuses !

A côté de cela, il y a aussi la problématique de l’accès au financement. Elle pourrait être en partie résolue, en encourageant, par exemple, le regroupement des acteurs fintechs sous forme de GIE par thématiques : microfinance, banque à distance épargne et crédit, acquisition et paiement marchand, afin de produire des solutions qui auraient un ensemble de ressources stables et une grande flexibilité en termes de chaine de valeur permettant de bonne projection pour des levées de fonds.

Quid du caractère dit « informel » de nos économies par rapport au défi de l’inclusion financière ?

Dans un article récent, je lisais que dans un pays comme la France, plus de 60% des transactions se fait encore en cash.

Certes les montants en volumes sont moins importants que les autres types de paiement, mais cela montre bien l’impact de l’existence d’une économie souterraine dans un pays avec un fort taux de bancarisation, et une réglementation à la fois incitative et restrictive, qui en règlemente l’usage. 

A contrario, nous avons dans les pays d’Afrique subsaharienne une forte économie informelle, et et une aversion pour le système financier tel que nous le connaissons. Autant de choses  freinant les efforts pour plus d’inclusion financière. Et cette inclusion financière ne sera réelle que lorsque l’on permettra aux consommateurs d’avoir accès à des produits d’assurance, d’épargne et de crédit.

Les sociétés de microfinance du fait de leur proximité et leur localisation dans le monde rural contribuent de façon non négligeable à réduire la fracture de l’inclusion financière. Mais beaucoup reste à faire, notamment en matière d’accès au fintechs et d’éducation financière des masses.

C’est autant de limite d’une part aux revenus des fintechs, et par conséquent à leur capacité d’investissement pour mieux capter les masses d’une part. Cela montre, d’autre part, la profondeur du marché en terme de développement et de travail a fournir pour l’inclusion financière.

La finance digitale et ses acteurs ont vraiment de très beaux jours devant eux, tant le potentiel de notre région est immense, et nos consommateurs en attente de réponses à leurs besoins de consommation, d’accès aux capitaux et surtout d’amélioration de leur condition de vie.

Ta longue expérience dans la région t’aura sans doute exposé à des expériences particulières, des pratiques incongrues. Une anecdote illustrant une particularité de ces marchés, pour nos lecteurs ?

Je me souviens de ce cadre de concertation entre régulateurs, gouvernements et acteurs, où nous explorions les voies et moyens envisageables pour amplifier l’usage du digital et de la monnaie électronique via le rôle de prescription de nos Etats.

Nous parlions justement du besoin de digitaliser les procédures au sein de nos administrations, l’usage de la signature électronique et la digitalisation des interactions financières de nos Etats avec leurs employés.  Et ce point venait d’être vigoureusement soutenu par les envoyés des gouvernements.

Mais, passé la porte de l’atelier, et comme s’il ne s’agissait pas des mêmes personnes qui juste avant approuvaient la nécessité de digitalisation des finances de l’administration, mes interlocuteurs, en m’apprenant que leurs per-diems et autres frais de mission leur étaient mis à disposition en monnaie fiduciaire, disaient préférer cette forme et ne pas envisager qu’ils puisse en être autrement…

Faites ce que je dis, pas ce que je fais !

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